Paolo Cognetti : l’appel de la montagne
J’ai découvert cette année un auteur italien, Paolo Cognetti, dont l’écriture a tout de suite résonné au plus profond de moi. L’appel de la nature et de la montagne y est si puissant qu’il fait vibrer le lecteur autant que l’auteur et le narrateur. Biographie et fiction se mêlent sous la plume de l’écrivain qui explore toute la richesse des liens d’amitié mais aussi et surtout l’exigence de la solitude en montagne et d’une vie réduite à l’essentiel, au plus près de la nature.
Paolo Cognetti, un auteur italien à découvrir
Paolo Cognetti est né à Milan en 1978. En 1999, il sort diplômé de l’école de cinéma et fonde une société de production indépendante. Il parcourt le monde et fait de nombreux allers-retours aux Etats-Unis où il réalise plusieurs documentaires sur des écrivains américains.
À 30 ans, il éprouve le besoin impérieux de s’éloigner d’une vie citadine qui l’épuise. Des souvenirs de la montagne de son enfance s’imposent alors à lui. Et il décide de partir vivre à 2000 m, dans le val d’Aoste. Il s’y sentira plus libre. Même s’il reconnaît que c’est un lieu de grande solitude et d’isolement.
10 ans plus tard, Paolo Cognetti vit toujours à la montagne la moitié de l’année, dans une baita (maison d’alpage) à Estoul, un hameau où n’habitent que quatre personnes (dont lui). L’autre moitié de l’année (l’hiver), il la passe en ville, à Milan. Il trouve son équilibre dans cette alternance ville et montagne.
Une écriture entre fiction et récit de voyage
Paolo Cognetti débute l’écriture en 2004 en participant à un recueil de nouvelles rassemblant les jeunes plumes italiennes. Plusieurs années s’écouleront avant qu’il ne produise son premier roman. Avant cela, il publiera des essais, des nouvelles et des guides de voyage.
Dans une interview accordée à l’occasion de la traduction en tchèque de son roman Les huit montagnes, il parle de son écriture :
J’ai toujours cultivé deux fils parallèles dans ma tête. L’un est l’écriture de fiction et l’autre l’écriture de voyage. J’ai toujours eu le sentiment que l’un nourrit l’autre, dans le sens où les histoires naissent du voyage, de l’observation des lieux. Pour moi, l’écriture de voyage vient en premier et est presque une écriture diaristique et descriptive. J’ai écrit beaucoup de nouvelles et je me rends compte maintenant que c’est une grande école pour moi, dans le sens où l’écrivain est en quelque sorte toujours autodidacte et que je me suis beaucoup entraîné sur l’histoire. (source)
La montagne qui inspire et se vit
Dans une autre interview accordée à Marianne, l’auteur explique la fascination qu’exerce sur lui la montagne.
La montagne est arrivée comme une avalanche. Elle est devenue une obsession. Ça a été une chance pour moi de la trouver. Quand j’y suis revenu, au début, j’ai tenu un journal, une sorte de blog que j’ai fini par publier sous le titre « Le garçon sauvage ». J’y écrivais ce que je voyais, les petites choses de tous les jours, pour que mes amis les lisent. C’est devenu un livre sans que je l’ai imaginé. Maintenant je le vois comme un entrainement pour le roman, une quête pour trouver une langue, un regard. Je voudrais explorer la montagne encore plus, écrire sur le Népal, raconter l’histoire d’une femme dans ces paysages…
La montagne comme lieu sauvage, lieu de vie, lieu de rencontres. Loin des exploits extrêmes, des clichés ou des symboles. Une montagne d’ombre et de lumière.
Cette idée de la montagne comme un paradis où on est heureux et où tout le monde est frère est une vision de citadin. A la montagne il y a le coté ensoleillé et le coté à l’ombre, l’adret et l’ubac. Je suis intéressé aussi par ce coté sombre : la solitude, l’alcoolisme. Si on raconte les deux, on échappe forcément aux clichés. (source)
Désireux de faire vivre la montagne en dehors du tourisme de masse et des pistes de ski, il monte en été 2017, avec son association Gli urogalli, un festival consacré à la littérature, aux arts et aux nouveaux montagnards baptisé Il richiamo della foresta (L’Appel de la forêt) en hommage à Jack London.
Trois œuvres pour célébrer la montagne
C’est un peu par hasard que j’ai découvert sur l’étal d’une librairie bruxelloise, un premier livre de Cognetti. Tout de suite l’écriture m’a subjuguée. Cette montagne qu’il décrivait résonnait en moi. Des souvenirs de vacances heureuses dans de petits villages valaisans remontaient à la surface comme des bulles de bonheur.
J’ai immédiatement prolongé cette première lecture, très courte, par d’autres … Et à chaque fois, la magie a opéré !
Le garçon sauvage, un carnet de montagne
Le premier livre de Paolo Cognetti que j’aborde, Le garçon sauvage, est un petit opus très court. 139 pages à peine. Un hommage à la vie simple et rustique dans une montagne authentique, loin des lieux touristiques. Une expérience humaine forte et une parole juste, sans fioritures. Le récit d’un retour à l’essentiel, tel qu’il est vécu par l’auteur, jeune trentenaire amoureux de la montagne.
Pour l’enfant de la ville que j’étais, qui avait été élevé en appartement, avait grandi dans un quartier où il était impossible de descendre dans la cour ou dans la rue, la montagne représentait l’idée de la liberté la plus absolue. Là-haut, j’avais appris à me déplacer, d’abord durement, puis le plus naturellement du monde, comme d’autres enfants apprennent à nager parce qu’un adulte les jette à l’eau : à huit ans, je marchais déjà sur les glaciers, à neuf, j’escaladais les falaises, et à seize, je pouvais enfin courir seul la montagne et étais plus à l’aise par les chemins que dans les rues de ma ville. Dix mois sur douze, je me sentais à l’étroit dans mes habits du dimanche et dans un système d’autorités et de règles à respecter ; en montagne, je m’affranchissais de tout et libérais ma nature. C’était une tout autre liberté que celle de voyager et de faire des rencontres, ou de passer la nuit à boire, à chanter et à séduire les filles, ou de se trouver des camarades avec qui s’embarquer dans de grandes aventures – autant de libertés qui me sont chères, si bien qu’à vingt ans il me semblait important de les explorer pleinement, mais à trente ans, j’avais presque oublié comment c’était, être seul en forêt, ou plonger nu dans un torrent, ou courir sur le fil d’une crête avec rien d’autre que le ciel tout autour. Ces choses, je les avais faites, elles étaient mes souvenirs les plus heureux. Le jeune citadin que j’étais devenu me semblait tout l’opposé de cet enfant sauvage, et l’envie d’aller à sa recherche s’imposa en moi. Ce n’était pas tant un besoin de partir que de revenir ; ni tant de découvrir une part inconnue de moi que d’en retrouver une ancienne et profonde que je croyais avoir perdue. (LGS – pp23-24)
La lecture de cet ouvrage touche la citadine que je suis. Je comprends si bien cette envie de fuir une vie trop bruyante, trop intrusive, aux mille distractions. Le besoin de retrouver la solitude et une vie plus simple, à l’écoute de la nature. L’envie de retrouver des êtres et des environnements vrais et vivant pleinement.
Les huit montagnes : ode à la montagne et à l’amitié
Le roman Les huit montagnes est un récit largement inspiré du vécu de l’auteur. Il parle merveilleusement bien de l’attrait de la « vraie » montagne -rude, authentique et solitaire. Il parle aussi d’amitié, d’enracinement, d’équilibre … Bref, un livre qui touche à l’essentiel et parle de tout ce qui construit un être humain, en vérité et en profondeur.
Pas étonnant dès lors que ce livre ait obtenu plusieurs prix prestigieux. Le prix Strega (Goncourt italien) et le prix Médicis étranger. À la question « comment expliquez-vous le succès de votre livre », l’auteur répond :
Je crois que c’est son thème. Cette idée de retour à un lieu abandonné de la modernité. C’est l’histoire de l’occident : avoir abandonné ses racines et la terre pour la ville et le travail. J’appartiens à une génération qui se demande s’il était juste de quitter ce monde-là. Il y a aussi cette idée de l’amitié entre deux hommes. Quelque chose d’absolu scintille chez ces deux amis, dans leur loyauté. On a trop oublié l’amitié comme thème littéraire au profit de l’amour ou des relations familiales. (source)
Outre l’amitié, d’autres thèmes émergent du livre : le temps qui s’écoule différemment pour ceux qui sont dans la « vallée », en ville, et ceux qui sont plus en contact avec le rythme et les cycles de la montagne.
Le temps en montagne est beaucoup plus lent que le nôtre, c’est quelque chose que l’on découvre quand on revient sur les mêmes pistes 10-20 ans plus tard et il vous semble que presque rien n’a changé là-bas. Et pourtant, vous avez tellement changé. Il arrive que je retourne dans certains endroits de la montagne dont je me souviens quand j’étais enfant et que je trouve le même arbre, la même pierre… C’est une dimension que nous ne réalisons plus en ville, car notre vie est rapide et fugace par rapport au temps sur terre. La montagne vous le rappelle. Cela crée cet étrange effet où votre vie dans la ville continue, vous vieillissez et tout, mais il y a un endroit où vous pouvez retourner à la solitude, où tout reste pareil. (source)
Distribué dans une quarantaine de pays, le livre a reçu d’excellentes critiques et connaît un succès enviable auprès du public. Pourquoi ? Voici ce qu’en dit l’auteur :
La première chose qu’on m’a dite, c’est que l’histoire ressemble à un classique, et je crois que cela signifie qu’elle entre en contact avec certains de nos mythes, archétypes, comme cette chose des deux amis qui grandissent loin l’un de l’autre, mais qui de temps en temps se rapprochent, se retrouvent. De deux destins : celui qui reste immobile dans un endroit et celui qui erre. Il y a quelque chose de très ancien dans tout cela. En parlant de cela, quelques grands livres me viennent à l’esprit et à mon avis, nous sommes un peu dans le domaine du mythe et donc aussi quelque chose de compréhensible pour toutes les cultures. (source)
Sans jamais atteindre le sommet : une autre approche de l’himalaya
En 2019, un troisième ouvrage vient célébrer la montagne : Sans jamais atteindre le sommet. Cette fois, l’écrivain nous emmène à l’autre bout du monde. Récit de voyage plus que roman, ce nouvel opus court aborde la difficulté de la marche en haute montagne.
S’il est vrai qu’en montagne, on marche seul même quand on est accompagné, le sentiment de distance et d’exploration renforce les amitiés. Les nuits interminables sous la tente avec Nicola, la magnificence absolue de la montagne contemplée avec Remigio, les hauts et les bas du chemin en haute altitude, l’altérité des lieux et des gens rencontrés.
C’est le récit d’un trek dans les hautes vallées du Dolpo, au nord-ouest du Népal. Un trek que Paolo Cognetti entreprend pour franchir le cap de la quarantaine, avec son ami d’enfance qui n’a jamais quitté les montagnes italiennes et un peintre qu’il vient de rencontrer. Une véritable expédition, avec guides, porteurs, mules… dans une région reculée.
« J’ai fini par y aller vraiment, dans l’Himalaya. Non pour escalader les sommets, comme j’en rêvais enfant, mais pour explorer les vallées. Je voulais voir si, quelque part sur terre, il existait encore une montagne intègre, la voir de mes yeux avant qu’elle ne disparaisse. J’ai quitté les Alpes abandonnées et urbanisées et j’ai atterri dans le coin le plus reculé du Népal, un petit Tibet qui survit à l’ombre du grand, aujourd’hui perdu. J’ai parcouru 300 kilomètres à pied et franchi huit cols à plus de 5 000 mètres, sans atteindre aucun sommet. J’avais, pour me tenir compagnie, un livre culte, un chien rencontré sur la route, des amis : au retour, il me restait les amis. » Paolo Cognetti
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