Les chemins d’Axel Kahn : trois voyages introspectifs à travers la France
Axel Kahn, chercheur, généticien, philosophe, ancien président de l’université Paris-Descartes et écrivain français prolixe est également un grand marcheur ou comme il se définit lui-même, « un chemineau de la vie ».
Sa passion pour la marche et son goût pour les chemins de traverse sont contagieux. Il nous convie à un périple inattendu à travers la France et les méandres de l’âme humaine dans trois de ses ouvrages : Pensées en chemin : ma France des Ardennes au Pays Basque (2014), Entre deux mers : voyage au bout de soi (2015) et Chemins (2018).
Ces trois récits passionnants témoignent de sa démarche personnelle et introspective, qui explore à la fois les paysages français et sa propre identité. La thématique du chemin, au cœur de ces ouvrages, invite à réfléchir à notre tour sur nos parcours, nos rencontres et les apprentissages qui jalonnent notre existence.
Dans cet article, je vous propose de découvrir ces trois livres d’Axel Kahn et les leçons qu’ils nous offrent sur la France, ses habitants et la quête de soi. Embarquons pour un voyage inoubliable sur les chemins d’Axel Kahn !
Pensées en chemin : ma France des Ardennes au Pays Basque (2014)
Dans « Pensées en chemin », Axel Kahn nous entraîne dans une lente traversée de la France à pied, de la frontière belge à la frontière espagnole, sur près de 2000 kilomètres. Il conçoit ce périple de plusieurs mois comme une quête de beauté et l’occasion de (re)découvrir les paysages variés de son pays, de la Meuse à la Bourgogne, en passant par la Haute Loire, les Causses et les Pyrénées.
Son long itinéraire buissonnier, comme il le nomme, est tantôt personnel et subjectif, tantôt témoignage édifiant sur l’état de la France, sur ses campagnes désertées, souvent pauvres, ses terres abandonnées à cause d’une mondialisation qui ne profite qu’aux métropoles.
« Ce livre est tout à la fois un carnet de voyage drôle et rêveur, une sorte de manuel d’histoire, où remontent à notre mémoire certains lieux historiques, ainsi qu’une réflexion sur l’état de la France, la désertification de beaucoup de régions, la pauvreté de certaines, les effets ravageurs de la mondialisation. C’est aussi l’occasion de rencontrer des hommes et des femmes qui racontent chacun un bout de la France d’aujourd’hui, celle dont on n’entend jamais parler. »
Au gré des rencontres et des villages traversés, Axel Kahn raconte la France rurale déprimée et les liens qui unissent les habitants à leur terre. Il met en lumière la diversité des cultures, des accents et des traditions qui font la richesse de son pays, tout en abordant les problématiques sociales et environnementales qui touchent ces territoires.
« S’il me fallait, au terme de ma traversée lente et attentive de la France réelle, désigner une idée que je souhaite voir emporter par le peuple révolté, ce serait l’idée de la mondialisation heureuse dont la plupart des décideurs européens et mondiaux continuent de véhiculer l’illusion… »
Heureusement, plus il progresse vers le sud, plus il observe les signes prometteurs d’un renouveau, source d’un regain d’optimisme.
J’ai la satisfaction de terminer mon périple dans des régions qui témoignent d’un incontestable ressort économique et humain. Il n’offre hélas pas de solution miracle pour les sites les plus sinistrés qui ne jouissent pas des mêmes atouts mais il existe, il participe à la réalité de la France et donne certaines pistes en ce que parmi ses facteurs on trouve des mots-clés de valeur sans doute générale : diversification, niveau de formation, fierté et patriotisme local, optimisme.
Le chemin pour rythmer la réflexion
« Penser en chemin est une nécessité qui possède de nombreuses vertus. »
Dans une interview, Axel Kahn explique comment le chemin alimente ses réflexions.
« Ce n’est pas une marche d’opérette. Je suis concentré sur l’effort et sur la sensibilité que tout ce qui m’accompagne me procure. Je suis loin du bruit de la société. La répétitivité du pas créé une réceptivité aux pensées. La pensée partagée se construit à l’écart du bruit de la société. Je ne prends pas de notes car seules les pensées profondes restent. ».
Il émaille le récit de sa marche au long cours de nombreuses réflexions et digressions économiques, politiques ou philosophiques.
Le chemin comme quête du beau
« A défaut d’avoir fait de ma vie une œuvre d’art, pour rappeler le souhait hors d’atteinte d’Oscar Wilde, je me sens vraiment capable de transformer mon périple en une longue phrase poétique évoquant la beauté par ce qu’elle est et par ce qu’elle dit. »
Pour Axel Kahn, il n’y a pas d’humanité sans beauté. Depuis toujours il s’intéresse à « la place occupée par la perception du beau dans l’édification de l’humanité », conscient qu’elle joue « un rôle essentiel l tout à la fois dans la socialisation des humains et dans l’accroissement de leurs capacités cognitives ».
« Tel m’apparut bientôt être le sens profond de mon périple : inscrire dans le chemin d’une existence ce trajet particulier qui veut être une phrase poétique, c’est-à-dire un énoncé dont le but principal est de faire ressortir tout ce qui dans le monde peut engendrer une émotion esthétique. Non pas comme une parenthèse hors du temps, mais comme un élément lui aussi essentiel d’une vie proprement humaine. »
Il déplore d’ailleurs que le beau soit marginalisé dans le quotidien de ses concitoyens.
« Outre une manifeste marginalisation du beau, du moins son éviction du centre des préoccupations humaines au profit de la rentabilité et de l’efficacité, notre temps est marqué par le repli du sentiment collectif et le recul des visées solidaires alors que l’accent est mis sur les valeurs individuelles. »
Le chemin comme métaphore de vie
Si Axel Kahn est un randonneur solitaire, il conçoit toutefois la marche comme un partage, comme une succession de rencontres. Son parcours devient ainsi métaphore de la vie, ponctuée de défis et d’apprentissages.
« Le bonheur de vivre est palpable et à l’évidence partagé. Cette jubilation-là n’est pas l’apanage de privilégiés, elle est vécue par de petites gens qui savent la trouver dans les choses ordinaires de la vie et témoignent ainsi de leur superbe appétence de l’existence. Une leçon extraordinaire pour moi qui viens de croiser tant de personnes anorexiques de ce point de vue, promptes à assombrir tout ce qu’elles touchent et vivent. »
Au fil de son récit, il évoque bien sûr les moments de doute et les difficultés rencontrées, mais aussi les joies et les découvertes qui jalonnent son chemin. Puis, vers la fin de son périple, il réfléchit déjà à « l’après ».
Puisque le but réel du chemin est le chemin lui-même, je ressens son interruption prochaine comme un risque de vacuité dérangeante. Il m’appartiendra de la combler, je sais maintenant qu’il existe bien sûr un « après la marche » dont la perspective m’habite depuis déjà plusieurs jours (…). Je m’efforce de ne pas me laisser envahir par la nostalgie, déjà.
C’est sans doute cela qui le mènera rapidement à sillonner à nouveau les routes et sentiers de France.
Entre deux mers : voyage au bout de soi (2015)
Un an après sa première traversée de la France, Axel Kahn reprend les chemins.
« Chemin faisant entre les Ardennes et la côte basque, je me suis senti si bien de mai à août 1913, mon corps et mes pensées en telle harmonie avec mes aspirations, les émotions ressenties au contact des paysages, des chefs-d’œuvre du patrimoine et au fil des rencontres m’ont procuré une telle impression de joie qu’il m’a semblé être alors heureux. »
« Entre deux mers » est le récit d’une nouvelle traversée de la France en diagonale, cette fois de la pointe du Raz en Bretagne à la Méditerranée (Menton). Un parcours en totale autonomie de plus de 2000 kilomètres, souvent en dehors des sentiers balisés. 76 jours de marche, à raison de 27 km/jour en moyenne.
« La randonnée hors des routes et des itinéraires balisés est une authentique aventure. »
De cette deuxième randonnée au long cours se dégage une vision de la France plus optimiste car les régions traversées ont moins connu les affres de la désindustrialisation. De plus, l’auteur y rencontre des habitants attachés à leur territoire et confiant dans leur avenir.
Dans ce second périple, Axel Kahn embarque une mascotte, un petit cheval en peluche, « Princesse mascotte », avec lequel il a un dialogue continu.
« Princesse mascotte m’apporte un réconfort essentiel en prenant à son compte mon moi insouciant, joyeux, romantique et poète et en me laissant faire mon affaire du reste. Ce dualisme me permet de garder l’univers enchanté de l’esprit à l’écart des tourments du corps que je parviens à quitter parfois pour ne plus ressentir que l’allégresse du chemin. »
Une fois de plus, le marcheur infatigable partage ses ressentis tout au long de sa progression et au gré de ses rencontres.
« Bien entendu, les spectacles beaux que je contemple, les joies que j’en éprouve, l’impression de bonheur qui en émerge, sollicitent d’autres visions heureuses, mes rêves, mes amours, mes enfants, mes succès. Et ainsi de suite, sans fin, c’est bien par touches colorées successives que se reconstitue le tableau impressionniste d’une existence. »
À plusieurs reprises, il poursuit et prolonge les réflexions entamées dans ses « Pensées en chemin ». Les longues digressions politiques ou sociologiques et les rappels historiques se multiplient … Il est vrai que les régions traversées s’y prêtent. Dans une interview, Axel Kahn explique ainsi son approche :
« Lors de mon voyage j’ai accumulé une somme d’infos, fruit de rencontres, d’enquêtes … J’ai pris des notes sur tout ce que l’on m’a dit, que j’ai confrontées avec une enquête de fond.
Mon livre est une autre manière de raconter le territoire. La notion de territoire m’est apparue essentielle. La France est une structure géographique avec une histoire, une dimension économique et une population insérée dans son territoire. »
Toutefois, ces nombreuses rencontres et ces réflexions ne masquent jamais complètement les difficultés du chemin. Ainsi, l’auteur avoue, presque incidemment, que ses articulations protestent de manière « tonitruante », même s’il choisit de ne pas s’y attarder. Il faut dire qu’à 70 ans la carcasse peine plus !
« L’homme qui marche n’est alors qu’une carcasse qui peine et un esprit qui l’habite, la ressent mais s’en évade sans aucune aide, bel oiseau alors qui prend son envol dans des cieux dont il dessine l’atmosphère et les contours. »
Heureusement, au détour d’un paysage ou d’un village (re)connu, les souvenirs d’enfance remontent à la surface et relèguent au second plan les maux inhérents à la marche.
« Outre la visite toujours un peu émue hier en arrivant à la maison où je suis né et à celle où j’ai passé, heureux, les cinq premières années de ma vie, la reconnaissance des lieux auxquels remontent mes premiers souvenirs, mon cheminement de marcheur lui-même conduit à un retour sur celui de ma vie et à l’évocation de la route qu’il me reste à parcourir. Oh, ce ne sont pas là, et de loin, les seules pensées qui viennent en chemin, les thèmes abordés dans cet ouvrage en témoignent. Pourtant, innombrables sont les images, les sons, les odeurs et, de façon plus générale, les sensations, même fugitives, qui renvoient à un souvenir plus ou moins profondément enfoui dans ma mémoire, qui sollicitent et mènent en pleine conscience des représentations mentales dont la netteté me surprend souvent. Tout s’enchaîne, alors, une pensée en appelle une autre, une scène se complète dans l’esprit pour devenir une séquence, un spectacle, une tranche d’existence, presque une existence entière. »
Cheminer pour cartographier
Plus encore que dans son premier opus « Pensées en chemin », une certaine vision de la France se dégage petit à petit, au fil de la diagonale empruntée. Tout au long de son cheminement, Axel Kahn ausculte et analyse les territoires traversés. Ses incroyables connaissances dans de multiples domaines, histoire, architecture, géographie, botanique, etc. enrichissent son récit de mille anecdotes, mises au point et autres considérations d’ordre politique, économique ou philosophique.
Cheminer pour communier
« j’avance sur les routes et les sentiers de mon pays, et, lorsque j’y parviens, communie avec ses habitants, leurs déceptions et leurs espoirs. »
Axel Kahn vit sa longue randonnée comme un moyen d’appréhender son propre pays en profondeur, de partir à la rencontre de ses habitants, de communier avec la nature ou encore de confronter la beauté des paysages aux œuvres d’art qu’il a pu connaître.
« Mon désir de m’imprégner des paysages que je m’apprête à découvrir, de communier avec eux, de les comparer en pensées avec ce que je me rappelle des tableaux qui les représentent, m’a incité à ne prévoir ce dimanche de Pentecôte qu’une étape courte. (…)
Le regard perdu dans l’incertain, mon ouïe est sollicitée par des notes aussi cristallines que les pierres que je foule. Il me semble reconnaître un prélude de Chopin. »
Cheminer pour vivre
« Cheminer avec un désir inchangé et toujours un peu inassouvi de vivre, intensément, d’être heureux, s’il se peut. »
Les longues heures de marche, parfois pénibles ; les aléas du chemin ou de la météo n’entament en rien sa détermination à aller de l’avant, à poursuivre sa quête de beauté, sa découverte de la France intérieure. Et les moments de grâce offerts par la nature, sont autant de récompenses accueillies avec joie et gratitude.
« Ces journées sur les hautes terres du Cantal et du Puy-de-Dôme furent rudes, longues, enchaînant les dénivelés, le parcours se révéla difficile à repérer au milieu des prairies immenses, le sol malaisé, cabossé, traître pour les chevilles. Là faillit s’achever ma route après une chute cruelle. Il me fallut passer par-dessus maintes clôtures malgré mon épaule endolorie. Pourtant ces étapes se révélèrent aussi enchantées de part en part et resteront gravées dans ma mémoire déjà riche de randonneur à la recherche obstinée de ces paysages et de ces sensations. »
Faisant fi des difficultés de certaines parties du chemins, Axel Kahn, et son incroyable ténacité, montre à quel point il est important, à tout âge, de persévérer pour profiter de ces instants de plénitude, qui permettent de tout relativiser et d’appréhender les défis de la vie avec sérénité.
« Y a-t-il antinomie entre l’inéluctabilité d’une disparition définitive et un cheminement vers cette issue aussi allègre que celui qui me conduit au bout de mon parcours entre deux mers ? Non, m’apparaît-il. La jubilation que j’éprouve sur les chemins de France malgré les protestations de mon corps en témoigne. «
Chemins (2018)
« Toute ma vie, j’ai marché. Chemin faisant, j’ai pensé. Pensé au chemin parcouru, à celui qu’il me fallait emprunter, chemins de terre, chemin de vie. Impossible de les distinguer vraiment tant ils s’entrecroisent, je suis un homme qui marche. »
Dans ce troisième opus « Chemins », Axel Kahn revisite une multitude de chemins et de lieux qui ont jalonné son existence depuis sa plus tendre enfance.
« Il est certain que je n’ai pu vivre le reste de ma vie professionnelle, celle qui est la plus connue, que par ce qu’il m’était possible par la marche, par la solitude dans la nature. Par ce contact, il m’était possible de renouer avec cette période mythifiée de paradis terrestre que j’avais connue durant les cinq premières années de ma vie »,
Il évoque ici diverses expériences qui ont marqué les étapes de sa vie. Il nous fait découvrir des parcours chaque fois différents, avec une volonté constante de partir en quête du beau, à la rencontre des gens, d’explorer les paysages et les liens qui unissent les hommes à leur environnement. Mais c’est aussi un dialogue intérieur qu’il entretient sur les chemins.
« Aller seul sur le chemin dont le but n’est autre que le chemin lui-même, empli de tous ceux que l’on aime, mener un dialogue intérieur propice à l’éclosion et à l’enrichissement de la pensée constitue pour le marcheur une quintessence. »
Le sens de la marche
Axel Kahn affirme ici que la marche lui est, par certains aspects, aussi indispensable que la respiration ou l’alimentation.
« Consacrant à la marche l’essentiel de mon temps libre, le libérant pour marcher, j’ai progressivement cherché à expliciter la place qu’elle a prise pour moi, la quête qu’elle recouvre. À lui donner sens, en somme. Mes réponses s’articulent autour de trois mots : liberté, beauté et pensée. »
« L’effort, la disponibilité à ce que l’on voit, entend, sent, aux pensées qui vous viennent, n’annihilent pas les soucis de l’autre vie, celle d’hier, mais les diluent, en atténuent le poids. »
« La marche m’apparut vite être l’occasion parfaite de déploiement et d’enrichissement de la pensée. Elle est la seule circonstance où se poursuit sans interruption le dialogue intérieur de soi-même avec soi, avec ce « je » qui en est un autre évoqué par le jeune Arthur Rimbaud. (…)
Une idée s’enracine parfois dans une observation du chemin, en appelle d’autres emmagasinées dans la mémoie, un univers mental se constitue. »
Cheminer, une manière d’être
« Je n’arrive pas à m’imaginer vivre sans cheminer, une existence qui ne comporterait aucun sentier à parcourir ne conserverait pour moi aucun attrait. »
« Chemins » est un ouvrage empreint de philosophie, dans lequel Axel Kahn nous invite à réfléchir sur notre rapport au monde, à la nature et aux autres.
Conclusion
Les trois ouvrages d’Axel Kahn, « Pensées en chemin », « Entre deux mers » et « Chemins », offrent une plongée fascinante dans les paysages français et la quête de sens de l’auteur. Chacun de ces livres nous invite à nous mettre, nous aussi, en chemin, tant pour explorer la France et ses trésors que pour mieux nous connaître et grandir intérieurement.
En suivant les pas d’Axel Kahn, nous découvrons l’importance des chemins qui traversent nos vies et les leçons qu’ils nous offrent. Nul doute que la lecture de ces trois récits vous donnera envie de vous lancer à votre tour sur les chemins.
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !