Bruxelles secrète : impasses autour de la Grand-Place
À Bruxelles, certaines ruelles sans issue, mais riches en histoire(s), méritent une attention particulière. Autrefois fort répandues, aujourd’hui presque oubliées, les impasses de Bruxelles sont souvent si discrètes que bien peu de touristes en devinent l’existence. Rencontre avec un patrimoine au passé mouvementé.
Impasses, allées, ruelles … quelle différence ?
Pour bien comprendre l’importance des impasses de Bruxelles, commençons par quelques définitions essentielles.
Jusqu’au 19ème siècle, « l’impasse est avant tout un lieu d’habitation située en retrait d’une voie publique, avec laquelle elle ne communique que par un goulot plus ou moins étroit, qui n’est qu’exceptionnellement accessible aux véhicules. En 1866, les impasses représentaient 17.5% de l’ensemble des habitations de la Ville de Bruxelles. (Verniers)
Á ce terme générique, viennent s’ajouter d’autres dénominations révélatrices. Les allées désignaient de longues impasses étroites, fermées la nuit par une porte. On en comptait 95 au début du 19e s. Les carrés et bataillons carrés correspondaient à des impasses groupées autour d’une vaste cour carrée ou aux grandes impasses de structure complexe.
L’appellation porte était parfois utilisée en référence à la porte fermant certaines impasses. Enfin, certaines sont indûment appelées ruelles alors qu’elles ne disposent que d’une seule issue.
Les impasses bruxelloises : une espèce en voie d’extinction
Autrefois, Bruxelles comptait des centaines d’impasses, véritables témoins d’une époque révolue. Elles accueillaient les petits métiers de jadis : chiffonniers, ferrailleurs, cabaretiers, rémouleurs, …
Déjà très présentes au 17e et 18e siècle, elles se multiplièrent au 19e lors de l’expansion de la ville, pour loger les artisans et les ouvriers au plus près de leur lieu de travail. Mais les conditions de vie y étaient le plus souvent déplorables. Promiscuité et insalubrité y régnaient en maître. 200 personnes y partageaient parfois une seule latrine.
Ces étroits passages, au statut complexe, à la fois public et privé, mettaient en communication des intérieurs d’îlot avec la voirie publique.
Jusqu’en 1844, les constructions en intérieur d’îlot échappaient au contrôle des autorités communales. Seules les façades donnant sur la voie publique devaient être approuvées par les autorités. C’est pourquoi on trouve souvent caché, derrière des façades honorables, des conditions de vie nettement moins enviables. Les propriétaires appréciaient sans aucun doute cette situation réglementaire qui leur permettait d’exploiter au mieux leurs terrains sous le couvert de l’inviolabilité de leur propriété. (source)
Les impasses se multiplièrent au cours du 19ème siècle. Selon un recensement réalisé avant 1895, près de 14.920 personnes se répartissaient dans les 226 impasses que comptait le Pentagone à cette époque.
La plupart des impasses bruxelloises furent détruites par mesure d’hygiène à la fin du XIXe et au cours du XXe siècle. Seules quelques unes survécurent. On est ainsi passé de près de 400 impasses à une quarantaine encore identifiables aujourd’hui.
L’épidémie de cholera de 1866 est souvent pointée comme l’élément moteur des premiers grands travaux d’assainissement à Bruxelles : le voûtement de la Senne (achevé en 1871) et la réalisation des grands boulevards. Ils auront entraîné la disparition de plus d’un millier de maisons et des dizaines d’impasses et de ruelles, pour la plupart insalubres.
Les dernières impasses visibles aujourd’hui, se concentrent dans les quartiers historiques : l’îlot sacré (autour de la Grand-Place), le quartier Sainte-Catherine et les Marolles.
À la découverte des impasses autour de la Grand-Place de Bruxelles
Les impasses près de la Grand-Place sont si discrètes qu’elles échappent souvent à l’attention des touristes, qui passent à côté sans soupçonner leur existence ou hésitent à y pénétrer.
Impasse des Cadeaux et Impasse Saint-Nicolas
Démarrons ce court circuit-découverte par deux impasses adjacentes, dont les entrées se situent aux n°6 et 8 de la rue du Marché aux Herbes. Leur classement récent témoigne de l’intérêt qu’elles présentent pour la lecture de la configuration du quartier aux siècles passés.
Au fond de l’impasse, on découvre un très vieil estaminet bruxellois, À l’Imaige Nostre-Dame. Populaire dans les années 1930, il était alors le rendez-vous des peintres, des écrivains et des poètes. À l’intérieur, le temps semble s’être arrêté : gravures anciennes, boiseries et vitraux d’époque, bar avec pompes en porcelaine. On y déguste des bières au fût peu connues, comme la Bourgogne des Flandres.
Juste à côté, la porte donnant accès à l’impasse Saint-Nicolas est elle aussi intégrée à un bâtiment de la rue du Marché aux Herbes, dénommé « Maison de l’Ange, datant de 1700 et restauré en 1946.
Au-dessus de l’entrée de l’impasse, une niche abrite la statue de saint Nicolas, surmontée de l’enseigne d’un estaminet qui occupe le fond de l’impasse : Au Bon Vieux Temps, également un des plus anciens cafés de Bruxelles. André Franquin y a créé le personnage de Gaston Lagaffe.
Les impasses Sainte-Pétronille et Schuddeveld
Une peu plus haut, au n°66 de la rue Marché aux Herbes, l’impasse Sainte-Pétronille, appelée jadis Allée des Trois Roses, date de l’époque de la reconstruction du centre de Bruxelles après le bombardement de 1695. En 1866, elle comptait 86 habitants, répartis dans sept maisons. Jusqu’en 1834, l’impasse était fermée par une porte cintrée.
Accessible aujourd’hui par un couloir partiellement couvert, cette impasse donne accès à un incontournable du folklore bruxellois : le théâtre de Toone, à la fois musée, estaminet et surtout théâtre de marionnettes.
Après la visite de Toone, on emprute l’impasse Schuddeveld qui donne accès à la très populaire rue des Bouchers.
Impasse de la Tête de boeuf
Au n°80 de la rue Marché aux Herbes, on accède à la Rue du Marché aux Peaux qui se prolonge dans l’impasse de la Tête de Bœuf, naguère très populaire chez les étudiants qui appréciaient le café La Diligence, ouvert 24/24.
En 2017, le projet Galika, a mis fin au chancre urbain qu’étaient devenu cet ensemble de ruelles qu’il a remplacé par une cinquantaine de logements. Une nouvelle placette est créée, la Place des Deux Personnes, accessible à tous durant la journée. L’objectif du projet est de redonner vie à ce quartier en dehors du tourisme.
En 2019, dans le cadre du parcours urbain bruxellois, l’artiste bosniaque Rikardo Druškić métamorphose l’impasse en y créant une fresque haute en couleurs, Balkan Trafik!, où se déclinent les thèmes de la fraternité entre communautés, de la paix, de l’amour et de la pureté.
Impasse de la Fidélité
Un peu plus loin, dans la rue des Bouchers, s’ouvre une impasse très fréquentée : l’impasse de la Fidélité surtout connue pour son bar à bières, le Délirium qui propose 3000 bières à la carte.
Mais cette impasse abrite aussi une petite statue assez discrète, Jeanneke-Pis, la petite sœur du bruxellois le plus célèbre, Manneken-Pis. Inaugurée en 1987, la statue de 50 cm est protégée par une grille et les touristes sont invités à jeter dans le bassin une pièce porte-bonheur.
Le saviez-vous ? Depuis 1999, la famille « Pis » s’est encore agrandie, avec le Zinneke-Pis installé à l’angle de la rue des Chartreux et de la rue du Vieux-Marché-aux-Grains
Quelques impasses de l’autre côté de la Grand-Place
Impasse aux Huîtres (Oestergang)
L’impasse aux Huîtres fait partie d’un ensemble de ruelles et impasses en intérieur d’îlot. On y accède par la rue du Marché au Charbon et elle débouche sur l’intéressante rue de la Chaufferette, une étroite ruelle médiévale pavée, avec un double coude, qui débouchait jadis sur la Senne. Jusqu’en 1851, elle s’appelait Mosselgat (ou trou aux moules) car au 15e siècle, des bateaux à fond plat venaient y décharger leurs cargaisons de moules.
Aujourd’hui, le décor a bien changé ! On se trouve ici dans le quartier gay du centre-ville. Et depuis 2015, la rue de la Chaufferette abrite une série de peintures murales LGBT.
Impasse de la Poupée
Une minuscule impasse traverse la plus petite maison au cœur de Bruxelles (2,75 m de large et 70m² sur 4 étages). Son entrée se situe au 19 rue du Marché aux fromages. L’entrée est fermée par un porte en fer forgé. Un couloir sous la maison permet d’accéder à une cour qui regroupe les habitations.
Cette impasse était jadis connue sous le nom d’allée du dragon, car c’est là, selon la légende, que le dragon terrorisant la ville aurait été vaincu par Saint Géry. En 1853, l’impasse est rebaptisée en référence aux marchands de jouets qui y avaient élu domicile.
Impasse du Val des Roses
Dernière impasse de ce circuit inédit autour de la Grand-Place : l’Impasse de Val des Roses. Elle commence au niveau du n°17 de la rue du Chêne où se situe l’Athénée de Bruxelles. Elle avait jadis un tracé en U qui longeait la première enceinte de la ville. Mais cette partie fut démolie en 1884 en vue de la construction de l’Athénée.
L’impasse se termine par un surprenant trompe-l’œil qui invite à s’évader …
En conclusion
Les impasses de Bruxelles, bien que peu connues, sont des témoins silencieux d’une histoire riche et complexe. Alors que la modernisation a effacé la plupart d’entre elles, celles qui subsistent offrent un voyage unique dans le temps, mêlant patrimoine et anecdotes oubliées.
Si le sujet des impasses bruxelloises vous intéresse, je vous invite à découvrir trois ouvrages captivants.
- Impasses de Bruxelles – plaquette éditée par la Région de Bruxelles Capitale – Service des Monuments et des Sites – 38p – 2000
- Bruxelles à l’aquarelle– Instantanés 1894-1897 – Jacques Carabain – Ed. le bord de l’eau – 2010
- Dictionnaire historique et anecdotique des rues de Bruxelles – Jean d’Osta – 1986
Envie d’explorer ces joyaux cachés de Bruxelles ? Laissez-vous surprendre par ces témoins d’un passé révolu et partagez vos découvertes et vos impressions dans les commentaires.
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