Promenade d’automne au cimetière de Bruxelles

Novembre au cimetière, c’est de saison !  Mais quelle idée de choisir un tel lieu comme but de promenade ! Pas vraiment … Bruxelles s’enorgueillit de quelques lieux de mémoire qui se prêtent bien à une balade arborée et romantique, surtout en automne. Et, dans le cas du cimetière de Bruxelles, c’est l’occasion d’aborder l’histoire de la ville sous un autre angle.

Novembre 2022. Le temps clément m’incite à revisiter certains cimetières bruxellois, d’autant qu’en cette période, ils se parent de leurs plus beaux atours. Les sépultures et les monuments généreusement fleuris rivalisent de couleurs avec la merveilleuse parure automnale des très nombreux arbres.

Parmi les cimetières bruxellois, celui d’Evère n’est pas le plus ancien mais bien le plus vaste et sans doute le plus étonnant. Partons à sa découverte.

Il était une fois un cimetière hors la ville

Le cimetière de Bruxelles se situe sur la commune d’Evère, soit à cinq kilomètres du centre de la capitale. Pour comprendre pourquoi il est si éloigné du centre ville, un petit rappel historique s’impose.

Le sort des anciens cimetières urbains

Jadis, les cimetières entouraient les églises. Mais l’accroissement rapide de la population urbaine finit par poser un sérieux problème : manque d’espace et insalubrité. C’est pourquoi en 1784 l’empereur Joseph II interdit par décret d’ensevelir les morts près des églises (seule exception : le cimetière de Laeken).

Plusieurs paroisses s’associèrent alors pour créer trois cimetières aux portes de la ville : les cimetières de Saint-Josse-ten-Noode, Saint-Gilles et Molenbeek.  Mais très rapidement, ceux-ci seront également saturés et considérés comme une menace pour la salubrité publique.

A partir de 1865, la gestion des cimetières est confiée aux communes qui créent leurs propres champs de repos. La commune de Bruxelles fait alors l’acquisition d’un vaste terrain en dehors de la ville.

Le nouveau cimetière de la Ville de Bruxelles fut inauguré en 1877, par le bourgmestre Jules Anspach. 900 concessions à perpétuité datant du 18e siècle y furent transférées. Dispersées le long des allées extérieures du nouveau cimetière, la plupart de ces sépultures, aujourd’hui à l’abandon, sont recouvertes de mousse ou envahies par la végétation.  

À la fin du XXe siècle, le cimetière de Bruxelles n’est plus que l’ombre de lui-même. Les tailleurs de pierre qui l’entouraient ont fermé boutique et leurs ateliers ont disparu. De nombreuses tombes sont en piteux état. De plus, une vague de vandalisme et de vol a entraîné la disparition de nombreuses statues et ornements en bronze et la dégradation de certaines tombes.

Malgré un classement en 1997, la situation ne s’améliore guère. Ces dernières années, plusieurs caméras de surveillance ont été placées à des endroits stratégiques afin de tenter de sécuriser les lieux.

Le cimetière de Bruxelles compte plus de 10.000 tombes et concessions. Toutefois, il n’existe à ce jour aucun inventaire systématique des objets et artefacts présentant un intérêt patrimonial. Depuis 2020 des crédits sont débloqués pour restaurer le patrimoine funéraire digne d’intérêt. Mais cela risque de prendre beaucoup de temps, puisqu’il faut d’abord en faire l’inventaire pour établir un ordre de priorité.

Revisiter l’histoire en quelques monuments commémoratifs

J’ai été surprise par le nombre de monuments commémoratifs disséminés dans cet immense parc-cimetière. Cela s’explique sans doute par l’espace disponible qui a poussé plusieurs associations et institutions à lancer des souscriptions pour faire ériger des monuments prestigieux en hommage aux soldats ou aux victimes de différents conflits armés.

Au détour d’une allée, on est ainsi confronté à l’histoire mouvementée et sanglante de l’Europe et son impact sur Bruxelles : de la bataille de Waterloo en 1815 à la deuxième guerre mondiale, en passant par la révolution de 1830, la guerre franco-allemande de 1870-71 et la première guerre mondiale.

Plusieurs pelouses d’honneur, disséminées aux quatre coins du parc, rappellent l’horreur de ces guerres. Elles rendent hommage aux victimes, quelle que soit leur nationalité. Belges, Français, Britanniques et Allemands reposent ici en paix, pas très loin les uns à côté des autres.

Dans chaque pelouse, des bancs invitent à se poser un instant et à méditer.

À quelques pas de là, un portique monumental en pierre bleue, donne accès à la pelouse d’honneur des soldats belges victimes des guerres 14-18 et 40-45. Deux hauts-reliefs y représentent la Douleur, le Souvenir et le Deuil.

À l’autre bout du cimetière, un autre monument remarquable s’élève au milieu d’un rond-point : le Mémorial aux Officiers, Sous-Officiers et Soldats britanniques tombés à la bataille de Waterloo en juin 1815.

Le monument en pierre rouge foncé, dite de Trêves, est surmonté d’une sculpture en bronze de Jacques de Lalaing, représentant Britannia, déesse de la Patrie qui descend les dernières marches de son autel afin d’honorer les héros morts dans les combats. À ses pieds se trouvent un sarcophage voilé et des dépouilles, des casques, des armes jetés  pêle-mêle. Trois lions gardent le monument. La crypte  contient les sépultures de 17 officiers anglais morts de leurs blessures dont le lieutenant-colonel Gordon, aide de camp du duc de Wellington.

À gauche de l’entrée, un imposant mausolée attire l’attention : il s’agit du Mémorial aux Soldats français tombés durant la guerre franco-prussienne de 1870-1871, érigé à l’initiative du Cercle français de Bruxelles (par souscriptions privées).  

Au-delà de tous ces monuments qui rendent hommage aux soldats et aux victimes de conflits armés, d’autres sont dédiés à des civils, comme ce Mémorial aux victimes du devoir (policiers, pompiers, etc.), inauguré en 1907.  

Enfin, d’autres pelouses sont dédiées aux victimes de catastrophes, et en particulier à celle de l’incendie du grand magasin Innovation en 1967, qui a marqué ma jeunesse.  

Découvrir quelques figures marquantes de la ville

Face à l’entrée du cimetière, une grande avenue mène au Rond-point des Bourgmestres.

C’est là que sont regroupées les sépultures des principaux bourgmestres de la ville : Jules Anspach, Charles Buls, Charles De Brouckère, Adolphe Max ou encore Maurice Lemonnier. Aujourd’hui, ces noms bien connus des Bruxellois, évoquent plutôt les grands boulevards et les artères du centre ville qui portent leur nom.

Au centre du rond-point, l’imposante pierre tombale d’Adolphe Max rend hommage à son combat face à l’occupant allemand pendant la première guerre mondiale.

D’autres tombes évoquent des personnages bien connus de la capitale belge : César De Paepe (créateur de la clinique du même nom), Jacquemotte (fondateur de la marque de café éponyme) ou encore Théodore Verhaegen (fondateur de l’ULB – buste ci-dessous à gauche) ou Jean Volders (fondateur du Parti ouvrier belge – monument très émouvant ci-dessous à droite).

On trouve bien sûr nombre d’architectes et d’artistes, comme Clara Clairbert (soprano à la Monnaie), Raoul De Manez (acteur), François Van Campenhout (compositeur de l’hymne national), Paulette Verdoot (danseuse), Henri Evenepoel (peintre) et tant d’autres … 

Mon propos n’est pas d’en dresser une liste exhaustive. Pour plus de détails sur l’une ou l’autre de ces personnes ou sur les monuments les plus emblématiques, je vous  invite à consulter la brochure explicative sur le cimetière.

Balade dans un musée à ciel ouvert

Loin d’être taphophile, j’aime me promener en ces lieux chargés d’histoire et de mystère, véritables musées à ciel ouvert, où s’entassent pêle-mêle des petits bouts de vie, condensés en une épitaphe, quelques médaillons et symboles parfois difficiles à décoder.

Souvent je me prends au jeu. J’accumule les indices et je tente de reconstituer les histoires et les événements qui ont marqué la vie de ces inconnus, illustres ou non. Le temps a apaisé les douleurs et les chagrins. Les traces du passé peuvent à présent nous parler sans passion, ni drama.

Contrairement au cimetière de Laeken, on trouve ici peu d’œuvres néogothiques. Par contre, on y trouve de nombreuses réalisations néo-Renaissance, éclectiques, Art nouveau et Art déco. Honnêtement, je n’y connais pas grand-chose. Je me documente un peu à postériori quand je rencontre une sépulture qui sort de l’ordinaire.

Au fil de mes promenades, j’ai tenté de repérer les plus beaux spécimens d’art funéraire. Certaines sculptures m’émeuvent, d’autres, plus « pompeuses » m’indiffèrent. À y regarder de plus près, on se rend compte que chaque époque a sa propre vision et une symbolique parfois hermétique.

J’aime ces lieux où l’amour s’exprime de mille manières si émouvantes. J’avoue avoir un faible pour les anges et les pleureuses.

Certaines statues sont particulièrement originales ou touchantes, comme cette pleureuse en bronze due à Ernest Salu sur la tombe Lebrun-Journoud (à gauche ci-dessous) ou cette pleureuse agenouillée devant la tombe art déco du sculpteur Sylvain Norga (à droite)

Les belles sépultures étant éparpillées aux quatre coins de cet immense parc-cimetière, j’en découvre de nouvelles à chacune de mes balades.

Des visites guidées thématiques sont régulièrement organisées. C’est sûrement le moyen d’en apprendre un peu plus sur l’art funéraire au XIXe et XXe siècle.

Promenade de saison dans un vaste cimetière paysager

La taille et l’agencement du cimetière en font un lieu de promenade bien agréable.

Dès le départ ce cimetière de 41 ha est conçu comme un parc paysager avec de larges avenues reliant des ronds-points, avec des perspectives monumentales alternant avec des enclos plus intimes, avec des allées sinueuses longeant des parcelles entourées de haies.

C’est le paysagiste Louis Fuchs qui fut chargé de l’aménagement du cimetière.

De très nombreux arbres sont repris à l’inventaire des arbres remarquables de la Ville de Bruxelles

C’est le cas, par exemple, des hêtres (Fagus sylvatica) taillés en cylindre de la 7e avenue.

Les tombes et les caveaux anciens qui bordent les avenues et les allées principales sont séparés les uns des autres par différents types de végétation et, dans bien des cas, se fondent littéralement dans le décor.  

Ainsi donc, si les monuments funéraires vous laissent indifférent, vous pourrez néanmoins profiter de la balade pour admirer la grande variété d’essences d’arbres communs ou remarquables, souvent centenaires.

La pelouse des enfants

Il y a quelques années, la pelouse 37, réservée aux enfants, a été agrémentée d’une pièce d’eau rectangulaire. Un lieu surprenant et propice à la méditation. Vous y verrez peut être des enfants sautiller sur les pas japonais qui traversent toute la longueur de la pièce d’eau.

Verger, ruches et hôtel à insectes

Plus étonnant encore, sur la parcelle 21 un verger a vu le jour. Il abrite deux ruches et un hôtel à insectes.

Une pelouse dédiée aux urnes biodégradables

Une autre pelouse a également attiré mon regard. Intriguée, je me suis renseignée et j’ai découvert que depuis janvier 2022, les cimetières de Bruxelles et de Laeken permettent d’inhumer des urnes biodégradables, placées devant un massif de fleurs et d’arbustes. Le nom du défunt est apposé sur une plaquette en acier corten, fixée sur un pupitre. Voici bien la preuve que l’art funéraire est en perpétuelle évolution.

Sans m’en apercevoir, j’ai passé presque deux heures à parcourir ce lieu emprunt de sérénité. Je vous en recommande la visite.

Le cimetière de Bruxelles en pratique

Lieu : avenue du cimetière de Bruxelles, 1140 Evere

Accessibilité : bus 63, 66 et 80 (arrêt Cimetière de Bruxelles) – parking aisé juste devant le cimetière

Heures d’ouverture : du mardi au dimanche, de 8h30 à 16h.

Pour en apprendre plus

Bon à savoir : en 2023, le « printemps des cimetières » aura pour thème l’Art Nouveau au cimetière de Bruxelles à Evere.

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