MusVerre : l’art du verre en Avesnois
Très loin du musée de province poussiéreux, le MusVerre à Sars-Poteries est un lieu étonnant de modernité, immergé dans un écrin de verdure, au coeur de l’Avesnois, dans les Hauts de France. Entre tradition et vision, ce Musée du Verre met en valeur sur plus de 1000 m² des savoir-faire et des sensibilités artistiques liées au verre .
Au sud de Mons et de Maubeuge, dans un petit village paisible de l’Avesnois, au milieu des champs et des vaches, un musée du verre ultra moderne a ouvert ses portes en 2016.
Musée du verre de Sars-Poteries – Crédit photo : Raimond Spekking
De l’extérieur, un vaste ensemble de bâtiments en pierre bleue (matériau traditionnel de l’Avesnois) et verre, très sobre, plus large que haut, sans fioriture, ni signalétique intempestive. Il se fond dans le paysage.
Derrière le nouveau musée, on retrouve les ateliers des verriers et les résidences d’artistes.
Tout l’extérieur du musée est en pierre bleue venue de Soignies en Hainaut, 800 tonnes au total, découpée en fines « briques » de tailles inégales . Le puzzle du motif, le calpinage, a été réalisé pendant toute une année par une équipe locale. La pierre bleue redescend sur le sol pour repartir par bandes, comme des haies de pierres, vers les champs alentour. La Libre
À l’intérieur, des espaces et une scénographie très épurés. Murs, sols et plafonds sont d’un blanc éblouissant. La lumière coule à flot, offrant un contraste saisissant entre les salles principales et les cabinets de curiosité plongés dans une douce pénombre. Ici et là, de grandes baies vitrées créent un dialogue permanent entre les paysages bucoliques et les œuvres d’art. Il se dégage de l’ensemble, une paix et une harmonie remarquables.
Intérieur MusVerre – Crédit photo : Cyrille Weiner (via caue-nord.com)
Le parcours de visite est tout à fait révélateur de la volonté du musée : évoquer le passé certes, mais surtout l’ouvrir vers de nouvelles créations et mettre en lumière l’évolution des savoir-faire depuis les ouvriers-verriers du XIXème siècle jusqu’au travail créatif d’artistes contemporains.
Enfin, des expositions temporaires de haute volée mais aussi toute une série d’ateliers pour petits et grands invitent à revenir en ces lieux si lumineux.
Sommaire
Hommage au riche passé verrier de la région
Riche d’un sous-sol argileux et siliceux (à l’origine de son passé potier), Sars-Poteries devient au 19ème siècle un centre industriel du verre creux.
- En 1802, est fondée à Sars-Poteries la première verrerie qui produit surtout du verre à vitres et du verre de table.
- En 1869, une deuxième verrerie s’établit, qui permet de diversifier l’activité.
- En 1883, les deux verreries emploient jusque 800 ouvriers originaires du village et des alentours.
- Sous l’effet des crises, la production s’arrêtera définitivement en 1937, après 130 ans d’activité.
- En 1967, le curé Louis Mériaux, qui se passionnait pour les objets de verre (appelés « bousillés ») qu’il découvrait chez les habitants du village, crée un premier musée qui leur est consacré.
- En 1982, il organise un colloque auquel il convie des artistes verriers de plusieurs pays. Ceux-ci apporteront au musée ou y laisseront des œuvres créées sur place. C’est la base des collections permanentes.
- En 1984, un deuxième colloque, « Verre et Architecture », attire des artistes renommés du monde entier.
- En 1994, le musée est pris en charge par le département du Nord qui lui donne un nouvel élan et le dote d’une véritable politique d’acquisition des œuvres d’art.
- En 2001, un nouvel atelier, unique en Europe du Nord, accueille des artistes en résidence et organise différents stages.
- En 2009, près de 13 millions d’euros sont débloqués pour financer la construction d’un nouveau musée très ambitieux, qui sera inauguré en octobre 2016.
De l’écomusée au musée d’art contemporain
Bien plus qu’un écomusée destiné à faire revivre un passé verrier révolu ou un savoir-faire local disparu, le MusVerre crée un lien dynamique entre le passé et l’avenir.
Un parcours intelligent mène le visiteur de la découverte des savoir-faire d’antan aux réflexions et réalisations d’artistes contemporains. Le parcours de visite s’articule sur deux niveaux : le rez-de-chaussée haut dédié aux collections historiques et le rez-de-chaussée bas consacré aux œuvres contemporaines.
Tradition et savoir-faire local
La visite du MusVerre commence par la salle des « bousillés » qui rend hommage à la créativité des ouvriers verriers locaux.
MusVerre – salle des « bousillés » – Crédit photo : Philippe Robin via narthex.fr
La salle suivante évoque l’histoire des verreries locale et la création du musée. Une troisième salle présente les différentes techniques utilisées par les artisans et artistes pour traiter le verre, à travers objets et vidéos.
Œuvres contemporaines
On descend ensuite vers une immense salle très lumineuse, où se dévoile un tout autre univers : place aux œuvres contemporaines. Tout tourne ici autour de la sculpture du verre, sous toutes ses formes, du figuratif au plus abstrait.
Quelques coups de coeur
- Seated Dressed Impression with Drapery de Karen Lamonte – 2007
Verre moulé. Une incroyable robe de verre au fabuleux drapé qui laisse devenir l’empreinte d’un corps.
- Cenae 9 de Joan Crous – 2008
On a peine à imaginer qu’il s’agit de verre tant la matière est granuleuse et peu transparente par endroit. L’œuvre présente les reliefs d’un banquet, passant du blanc lumineux au bleu sombre.
- La Familia de Giampaolo Amoruso – 2002
Coloré, ludique, drôle. Verre soufflé sablé.
- Sars-Poteries fait chanter le verre de Willem Heesen
Un musicien échevelé dont la flute ressemble à s’y méprendre à une canne de souffleur. La magie au bout des doigts. Œuvre emblématique du rôle que veut jouer le musée dans l’émergence d’un nouveau réseau de créateurs-verriers.
- Cominciare Chaos de Toots Zynsky – 1998
Ode à la résurrection printanière. Œuvre composée de fils de verre fusionnés et thermoformés.
- Monochrome bleu de Ales Vasicek – 2011
Pâte de verre. Jeu sur l’opacité et la transparence.
Spécificités des verreries de Sars-Poteries
Ce qui m’a amenée à visiter ce musée hors du commun (outre les recommandations d’une amie lilloise), c’est la découverte, au détour d’un guide de vacances, d’un terme intriguant : « les bousillés ». J’ai voulu en savoir plus …
Les bousillés
Les bousillés sont les objets créés par les quelques 800 ouvriers du verre, entre 1802 et 1937, pendant leur temps de pause.
Ils avaient l’autorisation de créer des objets personnels, pour eux-mêmes ou pour offrir, en utilisant le matériel et les chutes de matière première à disposition. Ces objets étaient dits « bousillés » puisqu’ils n’avaient aucun intérêt commercial.
La majorité des bousillés exposés (quelques 200 objets) datent du XIXème siècle. Ils sont d’autant plus intéressants qu’ils mettent en valeur la maîtrise et la créativité d’artisans-verriers de plus en plus souvent réduits au rang d’ouvriers.
L’homme du verre perd peu à peu de sa superbe : « maître-souffleur » au début de la Révolution industrielle, il est « ouvrier verrier » au milieu du XIXe siècle, puis simple « verrier » dès le dernier tiers. S’il maîtrise son art, cela ne fait plus de lui un maître, mais un exécutant. La pratique du bousillage représente alors un moyen de reconnaissance envers les siens mais aussi plus largement au sein du prolétariat. Aussi c’est par l’objet que nous nous proposons ici d’appréhender les relations entre homme et technique. Au-delà de la mobilisation des compétences, il existe un véritable langage de ces objets bousillés. (source)
La pièce maîtresse de l’exposition est sans nul doute l’étonnante lampe à pétrole offerte à Henri Imbert, directeur de la verrerie, à l’occasion de son mariage en 1882.
En prévision des noces, trois ouvriers verriers (Florent Vinck père et fils, souffleurs, et Joseph Poëls, tailleur) travaillèrent secrètement à former et assembler les dix-huit pièces finement gravées de ce chef d’œuvre d’un mètre de haut. La taille virtuose révèle les superpositions de couleur, l’opaque se jouant du translucide, le blanc se conjuguant au bleu de cobalt et au rose à l’or dans un équilibre parfait.
Les épis de faîtage
Les épis de faîtage sont de grosses boules en verre de couleur terminées par un pic.
Elles surplombaient au 19° siècle les maisons des ouvriers du verre de 4 villages de l’Avesnois (Sars-Poterie, Dimont, Lez-Fontaine et Beugnies). Malheureusement, pendant la guerre, les Allemands les ont pris pour cible. À tel point qu’il n’en restait plus que 6 en 1999.
Depuis, l’atelier du Mus’Verre a décidé de souffler une trentaine d’épis de faîtage par an pour faire revivre cette tradition. Et pour éviter que ces épis ne soient dispersés dans toute la France et s’assurer qu’ils soient bien installés sur les toits des environs, le musée a décidé de les donner exclusivement aux habitants des 4 villages « historiques » avec l’obligation pour les propriétaires de les installer sur leur toit.
Depuis, plus de 200 épis, d’une dizaine de kilos chacun -bleu, vert ou violet- décorent à nouveau les toits alentours. Un circuit à vélo vous fera d’ailleurs découvrir ce patrimoine local bien sympathique.
Les glettes
Autre petit objet insolite, la glette était autrefois utilisée par les enfants du village comme palet pour jouer à la marelle. Elle est devenue un véritable symbole du musée et une source d’inspiration pour les artistes verriers qui viennent en résidence à Sars-Poteries.
Contraction du mot galette ou dérivé de l’allemand gleiten, glisser, ce petit palet rond sert à jouer à la marelle ou « paradis ». Le verrier n’hésite pas à imprimer sur ce bout de verre chaud qu’il coupe et laisse s’étaler, un décor à l’aide du premier outil à portée de main, fers de tranchage, paire de pincettes, cachet comme pour le sceau de cire…
Chaque glette est éditée en 300 exemplaires numérotés et signés par les artistes. C’est une idée cadeau peu onéreuse, disponible à la boutique du musée.
Glettes – crédit photo : Philippe Robin – narthex.fr
Les bouteilles de Liesse
Les « bouteilles de la passion » de Liesse (haut lieu de pèlerinage depuis le Moyen-Age) sont désormais des perles rares. Elles contiennent des ludions, de petits sujets en verre filé suspendus à de minuscules flotteurs.
La fabrication de ces bouteilles par les artisans de Liesse au XVIIIe siècle est avérée, mais leur origine est probablement plus ancienne. Ce sont des bouteilles ou plutôt de grosses ampoules en verre transparent remplies d’eau qui renferment des ludions représentant des attributs de la Passion tels que crosse de Caïphe, fouet, colonne de la flagellation, clous, marteau, tenailles, lance, échelle de Golgotha, larmes de sang, soleil et lune, trompette du Jugement, clefs du Paradis…. plus de 60 éléments référencés. Le goulot est fermé par de la cire. Ce type de bouteille dont l’eau était puisée à la Fontaine de Notre-Dame de Liesse, était achetée par les dévots du célèbre pèlerinage.
Au musée, on découvre trois exemplaires de ces étonnantes bouteilles soufflées au chalumeau.
Exposition temporaire
En ce mois de juin 2020, le thème de l’exposition temporaire est singulièrement en phase avec l’actualité ! « Moi(s) » explore en effet les différentes facettes des rapports complexes à soi et au monde.
Celui qui regarde à l’extérieur de soi ne fait que rêver ; celui qui regarde en soi se réveille.
Carl Gustav Jung
L’œuvre centrale de cette exposition temporaire interpelle et fascine dès le premier regard …
- Migration de l’artiste verrier français, Antoine Brodin
L’œuvre évoque tout à la fois l’ossature d’une barque naufragée et le squelette d’un mammifère marin échoué … 4,50m de long, 45 membrures de verre soufflé, finement ajourés. Le ton est donné. C’est à la fois imposant et aérien. Et la lumière joue magnifiquement à travers les éléments dentelés.
Évocation de l’érosion du temps, du passage d’un état à l’autre …
Migration, c’est 9 mois de travail avec 11 artisans et 3 assistants, 600 kg de verre, 80 kg de métal, 40 kg de couleur, 180 heures de soufflage et 80h de sablage ! L’œuvre fait 4,5 m de long mais est toute en dentelle car j’ai poussé à l’extrême la technique du sablage, et ça sur les 45 pièces qui forment « Migration ».
Il serait trop long d’énumérer toutes les merveilles que recèle cette exposition. Je vous livre deux autres coups de cœur et vous invite à en découvrir bien plus sans tarder … l’exposition étant prolongée jusque fin août 2020.
- Spring Garland IV de Masayo Odahashi
Une enfant perdue dans ses rêves, couronnée de fleurs, yeux clos, paumes ouvertes. Vêtue d’une robe ambrée, fluide et gracieuse. Pieds nus ballants, assise en équilibre. Sérénité et douceur se dégagent de cette émouvante petite sculpture.
- Ouroboros de Jeitz & Calliste
120 paires de jambes forment un anneau de moebius de 1,60m et 4 kg. Façonné à partir de 1,8 km de fil de verre, l’œuvre a nécessité 4 mois de travail. Ouroboros évoque le cycle de la vie , la course du quotidien et le temps qui passe. C’est une réflexion sur l’agitation du monde et sur la possibilité/nécessité de se ménager un havre de paix, symbolisé par une balancelle, où se retrouvent des amoureux.
Œuvre sublime, tout en finesse et transparence, qui rappelle le travail des dentellières.
MusVerre en pratique
- Localisation : Rue du Général-de-Gaulle, 76 – 59216 Sars-Poteries
- Ouverture : tous les jours de 11h à 18h, sauf le lundi.
- Tarifs : 6€ / adulte , gratuit pour les moins de 26 ans ; gratuit le 1er dimanche du mois.
- Site web : www.musverre.lenord.fr
Musée du verre de Sars-Poteries
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