Les jardins clos de Malines : un mixed media médiéval
Les besloten hofjes ou « jardins clos » de Malines datent de l’époque de l’empereur Charles Quint. Ce sont des témoignages émouvants et uniques de l’art, de la dévotion et de la spiritualité féminine de l’époque.
Besloten hofjes : de quoi parle-t-on ?
Les besloten hofjes sont de petits retables uniques en leur genre. Ils se composent d’un caisson en chêne rempli de sculptures sacrées, débordant de fleurs en soie et d’éléments décoratifs, disposés sous forme de jardins clos. Une riche flore et faune y entoure des statuettes en bois ou en albâtre polychrome, des médailles en cire, des médaillons en terre de pipe, des fragments d’os (reliques), des miniatures et des inscriptions sur papier ou parchemin, des perles de verre et de corail.
Les statuettes en bois, délicatement peintes, sont connues sous le nom de poupées malinoises.
Ces petits chefs-d’œuvre font référence à l’hortus conclusus du Cantique des Cantiques. Ce sont des représentations d’un monde idéal, spirituel et paradisiaque. Ils témoignent de la dévotion et de la spiritualité des communautés conventuelles des Pays-Bas méridionaux au XVIe siècle.
Ces jardins clos sont le fruit d’un travail minutieux qui prenait souvent plusieurs années.
Origine des besloten hofjes
Les besloten hofjes sont principalement originaires de la région Meuse-Rhin. Aujourd’hui, on en trouve encore des exemplaires à Diest, Geel, Malines et Bergen. L’élaboration de ces reliquaires a atteint son apogée à la fin du XVe et au XVIe siècle.
Traditionnellement, situés dans un contexte religieux féminin, l’ensemble le plus cohérent qui soit parvenu jusqu’à nous, provient de Malines. Il s’agit d’une collection de sept besloten hofjes, propriété des sœurs Augustines de l’hospice Onze-Lieve-Vrouw de Malines.
Fabriqués dans les années 1500-1550 pour les sœurs hospitalières de Malines qui les enrichirent pendant des siècles. Les religieuses prient et méditent devant ces petits meubles. Chaque jardin clos raconte un ou plusieurs épisodes bibliques ou évoque la vie des saints et leur martyre.
En 1998 les sœurs de l’Hospice prêtent leurs Besloten Hofjes à la ville de Malines en vue de leur restauration et conservation.
Un exemple unique de mixed media médiéval
Le grand nombre de techniques et de matériaux utilisés dans les besloten hofjes les rend très spéciaux ; une sorte de mixed media avant-la-lettre.
Multimedia, assemblages en trois dimensions, voilà des termes familiers à notre époque. Ils conviennent pourtant parfaitement aux étonnantes œuvres d’art que sont les Besloten Hofjes. Marguerite d’Autriche en commanda au moins un exemplaire à Gand.
Les minuscules éléments de décoration de ces retables sont très fragiles et la diversité des matériaux rend leur préservation complexe. C’est pourquoi, des mesures de conservation et des travaux de restauration urgents ont été décidé au début des années 2010.
Restauration des 7 besloten hofjes de Malines
Pendant près de 500 ans les sœurs malinoises ont utilisé et conservé leurs Jardins Clos avec le plus grand soin. À partir du début du 19e siècle, les caissons en bois ont été refermés par des vitraux pour protéger les fleurs de soie des dégradations.
Toutefois, les artefacts des jardins clos sont devenus très vulnérables au fil des siècles, du fait de la pollution et du vieillissement naturel. La lumière a altéré les couleurs originales des fleurs de soie, les fibres textiles sont affaiblies et les fils métalliques corrodés. Les petites éléments se détachent du support en bois, se cassent, deviennent pulvérulents ou se déforment.
Un projet de conservation et de restauration démarré en 2012 vise à préserver ce patrimoine unique. Une équipe de 8 conservateurs, spécialisés dans des domaines tels que textiles, papier, métal, verre, bois, perles, os, parchemin ou peinture, s’attela à ce travail délicat.
- 2012-2013 : analyse et évaluation de l’état des besloten hofjes + proposition de traitement
- 2014-2016 : restauration de 3 besloten hofjes en vue de leur présentation à l’exposition « À la recherche de l’utopie » programmée à Leuven en octobre 2016.
- 2017 : début de la restauration des 4 autres jardins clos
- 2018 : les jardins clos reçoivent une place permanente dans le nouveau Musée Hof van Busleyden
Après 7 ans d’études et de conservation-restauration, les 7 Besloten Hofjes des religieuses de Malines sont enfin réunis et exposés au Museum Hof van Busleyden. Ensembles, ils abritent un trésor de 1110 fleurs et plantes en soie.
Inscrits sur la liste des chefs-d’œuvre flamands depuis 2011, ils sont reconnus comme rares.
Une collection unique au Musée Hof van Busleyden
Le Musée Hof van Busleyden est situé dans une splendide demeure Renaissance, édifiée à l’époque où Malines était l’ancienne capitale des Pays-Bas bourguignons. Il retrace la glorieuse histoire de la ville et invite à réfléchir à son avenir. Ici le passé entre en dialogue avec le présent.
On y découvre au dernier étage les 7 besloten hofjes des sœurs augustines, merveilleusement mis en valeur.
Si le sujet vous intéresse et pour de plus amples explications sur les spécificités des différents jardins clos, je vous invite à vous procurer le livre De Besloten Hofjes van Mechelen (NL) ou sa version anglaise Enclosed gardens publié en 2018.
Il existe malheureusement très peu d’explications en français. J’ai donc pris la liberté de traduire quelques uns des documents et articles publiés sur le sujet en néerlandais ou anglais pour vous présenter quelques traits particuliers des différents besloten hofjes exposés à Malines.
1. Jardin clos avec calvaire et chasse à la licorne
C’est sans doute le jardin clos qui fait le plus appel à l’imagination de chacun. La mise en scène est imprégnée des thèmes de l’incarnation, de la virginité et de la rédemption.
Ce jardin paradisiaque est fermé par un portail sur lequel une inscription latine exhorte le spectateur à mener une vie vertueuse : « Vous êtes le jardin tout doux et débordant de vertus diverses, intact et plein de fleurs et de grâce. »
La licorne qu’on aperçoit à l’avant plan évoque un thème chrétien qui apparaît souvent dans les arts.
La licorne est identifiée comme étant le Christ qui est descendu dans la Vierge Marie et qui a ensuite été tué afin de sauver le monde de ses péchés. Cela est confirmé par les inscriptions au bas du Hofje.
Ce jardin clos n’a plus de volets peints mais ceux-ci étaient probablement présents à l’origine.
2. Jardin clos avec Ste Elisabeth, Ste Ursule et Ste Catherine
Ce jardin clos a conservé une grande partie de sa splendeur d’origine. Les fleurs de soie et les statuettes polychromes sont en excellent état grâce à une restauration antérieure.
Ici, la notion de vertu domine. Elle est représentée par les trois saintes qui occupent une position centrale dans ce jardin : Sainte Ursule, Sainte Catherine, Sainte Elisabeth de Hongrie, trois jeunes filles de bonne famille, particulièrement pieuses.
3. Jardin clos avec calvaire, la Vierge Marie et Jean l’Évangéliste
Le thème central de ce jardin clos est la rédemption de l’homme. Ce concept est symbolisé par la Crucifixion. Sa structure symétrique est très similaire à celle des trois grands jardins clos.
La croix polychromée d’or est décorée de fleurs et de pierres de couleur. Au pied de la croix, le crâne d’Adam fait le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Les panneaux latéraux sont peints à l’intérieur et à l’extérieur. On y découvre des membres de l’Hospice Notre-Dame de Malines. Grâce aux inscriptions, on peut dater ce besloten hofje vers 1525.
4. Daniel dans la fosse aux lions
Ce petit retable évoque l’épisode biblique de Daniel dans la fosse aux lions, entouré de fleurs et d’animaux, de sceaux de cire, de rouleaux de papier, d’inscriptions et d’ornements.
Dans le contexte des jardins clos, l’histoire de Daniel dans la fosse aux lions préfigure la conception immaculée de Marie. À droite de Daniel, une statue de saint Jérôme, également accompagné d’un lion. Selon la légende il aurait oté une épine douloureuse de la patte d’un lion.
Ce besloten hofje plus petit est d’une très haute qualité artistique. Les deux sculptures de chaque côté de Daniel sont en albâtre et non en bois.
Contrairement aux six autres, ce besloten hofje n’est pas entouré d’une clôture, même s’il y a pu en avoir une à un moment donné.
5. Jardin clos avec Calvaire
Plus simple que les six autres, ce jardin clos n’est pas constitué d’une grille de rouleaux de papier contre laquelle un groupe de statues représente certaines scènes bibliques.
Au centre d’un jardin envahi par la végétation, un crucifix. Au pied de la croix, une petite porte se devine ; le reste de la clôture a disparu. Le crucifix est entouré de fleurs de soie, de grappes de raisin et d’autres fruits.
Dans ce jardin, on peut voir quelques « paquets » enveloppés dans du papier et entourés d’un cordon de perles. Certains de ces paquets sont accompagnés d’un papier avec l’inscription « Vanden XI m meachden » qui indique clairement au spectateur que le paquet contient une relique des onze mille vierges. (reliques également présentes dans les autres Besloten Hofjes).
6. Jardin clos avec St Augustin et le trio St Anne, Marie et l’enfant
L’agencement de ce jardin clos est similaire à celui présentant Sainte Ursule. Le « trio Sainte-Anne » est une représentation de trois générations complètement dévouées à Dieu et aussi complètement vertueuses. Sainte Anne est la mère de la Vierge Marie qui, tout comme sa fille, a reçu son enfant de Dieu.
Tout en haut, au-dessus de Sainte Anne se trouve une statue en bois de Marie et l’enfant représentant la Lucerna Clarissima, une représentation qui remonte aux visions apocalyptiques de Saint Jean : « Et il apparut, dans le ciel, un grand signe, une femme enveloppée de soleil ; la lune était sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles » (Apocalypse 12:1-2)
Ce Jardin clos se distingue aussi par ses médaillons exceptionnels. Ces médaillons en terre à pipe sont un produit typique de Malines. Tous ces objets sont des préfigurations de l’Immaculée Conception. Ce sceau est entouré d’une guirlande de fleurs de soie et de deux anges.
Le décor de fleurs de soie et de rouleaux de papier forme un quadrillage ordonné à la manière d’un verger (scène courante dans la littérature dévotionnelle du XVIe siècle). Ainsi, l’âme d’une religieuse ressemble à un jardin ou un verger : ses vertus s’épanouissent grâce à son dévouement et à son attitude pieuse face à la vie.
7. Jardin clos de Notre-Dame
Le dernier jardin clos diffère considérablement des autres, tant par sa taille que par son aménagement. Il s’agit ici d’un reliquaire plutôt que d’une reconstitution du jardin d’Eden. Ce Hofje est probablement plus récent que les six autres.
On soupçonne qu’un ancien jardin de fleurs en soie a été détruit et qu’au XVIIIe siècle, l’armoire de ce hofje a été regarni avec des fleurs et des reliques en papier. Il peut être fermé par deux volets. Le panneau de gauche représente une pietà. Le panneau de droite est un portrait du donateur et vraisemblablement de l’ancien propriétaire de ce sanctuaire. Malgré la présence d’un blason, cet homme n’a pas encore pu être identifié. On peut cependant le dater sur la base du livre ouvert, visible à gauche en arrière-plan, en raison de la phrase suivante : « Auxilium meum in Domino 1539 ».
Dans ce jardin clos, dix broderies rondes avec des reliques entourent une lourde niche dans laquelle est placée une Vierge. Elle ne se tient pas sur son piédestal, mais plane à quelques centimètres au-dessus de celui-ci (il y a probablement eu ici une demi-lune qui a maintenant disparu). Les reliques qui entourent la niche sont toutes identifiées par une inscription. Certaines sur du parchemin à l’encre rouge et bleue, d’autres, probablement ajoutées plus tard, imprimées à l’encre noire sur du papier.
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